L’ÉDITO
CHRONIQUES
FRACTURES
LE RETOUR DE L’INFLATION,
QUELS SCÉNARIOS ?
POLITIQUE ET LOGISTIQUE,
RIME RICHE ?
ÉDITO
Le 7 avril 2022, le Forum Vies Mobiles a publié : « La Ville du quart d’heure : voie à suivre ou mirage idéologique ? » Carlos Moreno, le diffuseur de la ville du quart d’heure, et Pierre Veltz, ingénieur, économiste et urbaniste, qui en remet en cause les vertus, répondaient aux questions introductrices de Vincent Kaufmann. J’invite nos lecteurs à qui cette publication aurait échappé à lire les deux contributions qui posent des questions importantes pour le pilotage des évolutions économiques, écologiques, sociales et territoriales auxquelles notre pays doit faire face. Dans une France en archipel sur le plan territorial et sociologique, que les commentateurs du dernier scrutin s’accordent à déclarer fracturée sur le plan politique, il sera utile d’explorer rationnellement les points de la controverse pour trouver des solutions opératoires et acceptées. La disjonction entre la ville des électeurs et la ville active des travailleurs de la première ligne et des jeunes cadres et employés du secteur productif explique pourquoi la maire de Paris (à l’instar des maires socialistes et verts des grandes villes) a obtenu un score très élevé aux élections municipales et assez modeste au niveau national. Ce n’est pas uniquement l’effet d’un vote utile. Un entrepreneur politique ne présente plus une offre collective,
mais tente d’agréger les différentes demandes de ses « clients », face à des attentes aussi divergentes et sans projets collectifs, ce n’est pas facile. Avec le « package de la ville du quart d’heure », on gagne les municipales, mais on n’a pas de projets collectifs pour la Nation. Lors des scrutins locaux, les électeurs des grandes villes choisissent ce qui leur semble être le meilleur programme pour gérer leur cocon urbain habillé par des valeurs correspondant à leur intérêt immédiat. Au niveau national, les citoyens comprennent assez clairement qu’il faut que la machine à produire du pouvoir d’achat continue de fonctionner et estiment, majoritairement, qu’il n’est pas tout à fait sérieux d’affirmer que les difficultés d’un pays où les dépenses publiques pèsent structurellement 55 % du PIB résultent au premier chef des effets d’un néolibéralisme effréné.La fin de l’opposition entre la droite et la gauche historiques (au sens ancien : les rentes vs l’égalité des chances, le partage de la valeur ajoutée entre le travail et le capital, la reproduction des conditions, surtout à travers l’école et l’héritage immobilier1 vs le mérite, l’émancipation par la culture et le travail vs l’aliénation du travailleur machine, etc.) n’est pas le fruit d’une recomposition politique, mais la traduction idéologique d’une évolution fondamentale.
Jusqu’à la fin des années 1980, en France, on pouvait encore dire « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » sans être contredit par les faits. Les forts gains de productivité du secteur productif généraient un surplus suffisant pour financer l’extension des services publics et de l’État providence. Les surplus d’aujourd’hui servent une augmentation de la valeur des actifs qui concentre le patrimoine et alimentent surtout les recettes fiscales. Il s’en suit une perte de sens et même une inversion des valeurs. La valeur travail, le mérite, l’ouverture sont revendiqués par le bloc élitaire et le repli identitaire, nationaliste ou vers des petites communautés localistes et des tribus sont devenues des valeurs de la gauche populaire qu’elle soit classée – à tort pour la majorité des électeurs – d’extrême droite ou d’extrême gauche. Sans un projet collectif, il sera difficile de concilier des aspirations démocratiques si différentes selon les échelles. Il s’agit d’un défi majeur pour les politiques d’aménagement des territoires et de transport dans un contexte de retour de l’inflation et de nécessaire maîtrise de la consommation d’énergie. L’équipe de TI&M – économie, politique, société – prépare un dossier dans les prochains mois pour apporter sa contribution au débat.
Hervé Nadal
LE RETOUR DE L’INFLATION, QUELS SCÉNARIOS ?
Il y a quelques mois, certains experts étaient formels, il n’y aura pas de retour de l’inflation ! Les faits sont venus ébranler les certitudes. La hausse des prix s’est accélérée dans les pays occidentaux. Les budgets des ménages et des entreprises sont sous tension. Mais ce qui est pour eux une menace pourrait représenter une opportunité pour l’État.
En mars 2022, en rythme annuel, l’inflation atteignait 8,5 % aux États-Unis, 7,4 % au Royaume-Uni, 7,3 % en Allemagne, deux fois plus qu’il y a six mois. L’augmentation des prix de l’énergie, accélérée par la guerre en Ukraine, a joué un rôle-clef. Mais d’autres facteurs sont à l’oeuvre, comme les pénuries de certains composants industriels et les coûts du transport maritime et routier. Pour l’instant, en France, l’inflation est limitée à 4,5 %, un chiffre qui cache des disparités importantes. En un an, les prix de l’énergie ont augmenté de 28,9 % et les produits frais de 7,2 %, mais les produits manufacturés et les services n’ont grimpé, respectivement, que de 2,1 et 2,3 %. Qu’adviendra-t-il dans les prochains mois ? La hausse des prix de l’énergie, des matières premières et des denrées va-t-elle se répercuter en cascade dans l’ensemble de l’économie ? Cette spirale inflationniste semble déjà enclenchée chez nos voisins, elle n’a pas de raison de s’arrêter aux frontières de notre pays. Le Comité national routier (CNR)1 indique que le prix de revient du transport routier à longue distance a progressé de 19 % en un an.
En 1973 et 1980, la France a subi ce que les économistes ont qualifié de « prélèvement extérieur », soit la modification des prix relatifs en faveur des pays exportateurs de brut. La croissance économique a été réduite, car le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises a été amputé. Ce scénario se reproduit sous nos yeux. prix relatifs en faveur des pays exportateurs de brut.
La croissance économique a été réduite, car le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises a été amputé.
Au début de l’année, la Banque de France envisageait un taux de croissance de 3,9 % pour 2022. Elle prévoit maintenant 3,4 % si le prix moyen du baril de pétrole s’établit à 93 dollars, mais seulement 2,8 % si ce prix atteint 119 dollars. Nous ne sommes pas à proprement parler en situation de stagflation, mais deux facteurs inquiétants se conjuguent : la hausse des prix d’une part, et la moindre croissance économique d’autre part. Comme les consommations intermédiaires coûtent plus cher, la valeur ajoutée des entreprises progressera moins si elles ne peuvent ajuster à la hausse leurs prix de vente. Le problème est le même pour les ménages. Les prix à la consommation augmentent plus que les salaires. La trajectoire comparée des prix et des salaires est l’enjeu principal des prochains mois. Si une escalade se met en place entre les deux, l’inflation va s’accélérer, obligeant les banques centrales à relever sensiblement les taux d’intérêt, car la cible de 2 % d’inflation est déjà dépassée.
Nous sortirons alors de la période atypique des taux d’intérêt nominaux nuls, voire négatifs. Cela va ralentir la croissance, mais provoquer aussi des dégâts sur les marchés financiers et notamment le marché obligataire. La hausse des taux freinera les achats de logements. Une phase de déflation est donc probable sur les marchés où les politiques monétaires non conventionnelles ont concentré leurs effets inflationnistes : la Bourse et l’immobilier. Compte tenu des risques de stagflation, il est toutefois possible que les taux d’intérêt réels restent négatifs, les taux nominaux demeurant inférieurs à l’inflation. En procédant ainsi, les banques centrales donneraient un précieux coup de main aux États.
D’abord en évitant de trop ralentir l’activité économique, ensuite en leur offrant un moyen de dégonfler sans douleur la dette publique. Sans entrer dans les détails, deux conditions sont nécessaires pour que diminue le ratio dette publique/PIB. La première est que le déficit courant soit contenu, la seconde est que les taux d’intérêt payés par l’État soient inférieurs à la croissance nominale du PIB, soit le taux de croissance plus le taux d’inflation. L’accélération de la hausse des prix offre donc aux États surendettés, avant et plus encore après la pandémie, une solution à un problème épineux. En 1945, la dette publique des États-Unis représentait 120 % du PIB. Trente ans plus tard, ce ratio était retombé à 30 % sous l’effet de la combinaison croissance plus inflation. Un tel scénario va-t-il se reproduire en France dans les années à venir ? C’est possible, mais pas certain. Une autre option serait une crise de confiance consécutive à une instabilité politique interne entraînant une fuite des capitaux et une dérive incontrôlée de l’inflation. La sortie de l’euro pourrait ainsi survenir alors même qu’elle n’est plus dans les programmes politiques !
Yves Crozet
POLITIQUE ET LOGISTIQUE, RIME RICHE ?
Que pensent les candidat(e)s à l’élection présidentielle du système de transport de notre pays, et en particulier de sa logistique, fonction économique et sociale essentielle ? Quels sont les consensus et les dissensus qui se dégagent de leurs propositions ? Après l’élection, la liste des options ainsi révélée demeurera.
Pour l’élection 2022, les candidats ont répondu au questionnaire du think tank TDIE ou ont participé à la présentation orale de leurs programmes à l’initiative de TDIE et Mobilettre (le 17 mars), et à la table ronde organisée par France Logistique dans le cadre de la SITL (le 5 avril). À côté de réponses sérieusement préparées (sans juger de leurs options politiques sous-jacentes), d’autres sont lacunaires ou très générales, ou avancent des promesses au financement improbable… En tout cas, après la crise de la Covid-19, les désordres de la mondialisation et l’essor du commerce en ligne, et même si « les marchandises ne votent pas », la logistique est désormais présente dans les discours politiques nationaux sur les transports. Face au dérèglement climatique, la décarbonation du fret est annoncée par tous les candidats comme un impératif. Pour autant, y compris ceux qui se réclament du principe pollueur-payeur ne précisent pas comment internaliser les coûts externes (par une écotaxe, un péage urbain, etc.). La même prudence politique se constate à l’égard des ZFE, au nom de la liberté pour les uns, des inégalités sociales pour les autres. Si des marges de sobriété existent dans l’organisation logistique, elles sont insuffisantes pour atteindre la décarbonation.
Alors que nul ne prône la démobilité du fret, tous soutiennent l’investissement technique pour moderniser les infrastructures et accomplir une transition énergétique. La route restera le mode terrestre dominant. Le fait nouveau majeur est la disponibilité de solutions face au pétrole. L’électrification est en voie pour les VUL, d’autres méthodes se présentent pour les transports lourds (électricité par caténaire, hydrogène, biogaz, etc.). C’est poser la question du mix énergétique à même de fournir au transport une électricité décarbonée et en tout temps disponible : les candidats se divisent selon qu’ils incluent ou excluent l’énergie nucléaire. Tous les candidats mettent en avant le report modal vers le rail et la voie d’eau, même si la France ne dispose plus depuis les années 1930 du « chevelu » des lignes ferroviaires locales et que la voie d’eau moderne est divisée en quatre bassins. Le chemin de fer fait l’objet de promesses généreuses pour remettre en état et moderniser le réseau. Quant aux plateformes logistiques, certains critiquent les « hubs » géants, qui concentrent les flux et les emplois, tout en souhaitant contradictoirement la massification du fret nécessaire au report modal. Comment en outre améliorer l’attractivité des métiers logistiques sans augmenter les salaires comme le proposent plusieurs candidats et sans offrir aux salariés les services (restauration, formation, transports collectifs) que permettent les plateformes ?
Les propositions sont également très divergentes en matière de projets d’infrastructures, entre ceux qui suggèrent l’extension du réseau ferré et le contournement routier de grandes villes et ceux qui s’opposent à tout grand projet, estimé inutile. Quant aux concessions autoroutières, certains veulent les interrompre tandis que d’autres souhaitent préparer leur fin et d’autres encore les prolonger. Est particulièrement clivante, enfin, la question de l’ouverture du marché ferroviaire à la concurrence et donc de l’attitude face à l’Union européenne. Certains candidats proposent d’accélérer l’ouverture du marché, d’autres au contraire militent pour le rétablissement du monopole de la SNCF et le rejet de la réforme européenne lancée il y a trente ans par la directive 91/440. Quels seraient le scénario et les conséquences d’une telle rupture ? Par ses convergences et ses divergences, le débat de 2022 démontre une fois encore que l’avenir du fret et de la logistique s’inscrit dans des choix politiques lourds d’enjeux pour la société tout entière.
Michel Savy
Notes 1 Voir le lien : « Quelle politique des transports pour assurer la trajectoire vers la neutralité carbone ? Le dossier présidentiel de TDIE » 2 Voir, pour la France : Bréhier R., Caude G., Savy M., « Prospective 2040-2060 des transports et des mobilités. Rapport thématique – Marchandises », février 2022 ; pour le monde : « Perspectives des transports 2021 », Forum international des transports – OCDE, 2021.
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DOSSIER À LA UNE
Système ferroviaire et questions économiques
Le fer contre le carbone à l’épreuve des questions économiques
Hervé Nadal
Directeur de la publication
La tarification d’usage des infrastructures : commande stratégique du système ferroviaire ?
Alain Bonnafous et Lionel Clément
Respectivement professeur honoraire de l’université de lyon et docteur ès sciences économiques
Économie de grande vitesse ferroviaire : en marche vers le
« modèle italien »
Yves Crozet
Professeur émérite à science po lyon
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Des questions d’actualité : sous forme de brèves, l’actualité des transports et de la mobilité décryptée et commentée.
Une tribune libre ou entretien avec une personnalité.
Un dossier inédit avec des articles de fond écrits par des acteurs du secteur, experts, chercheurs ou universitaires réputés.
Des débat entre experts.
Un bloc-notes transport et industrie aéronautique.
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