LES NOUVEAUX CONTOURS DE LA LOGISTIQUE AVEC LE ROYAUME-UNI ET L’IRLANDE
Plus de 4 millions de camions et remorques ont été comptabilisés en 2019 entre la France et le Royaume-Uni. Trois ans plus tard, les douanes françaises en ont recensé 3,6 millions. Leader avec une part de marché – stable – de 39 à 40 % sur la période, Getlink confirme cette baisse de volume. Entre 2019 et 2021, le trafic de ses navettes fret est passé de 1,59 à 1,36 million d’unités. Pour expliquer ce repli, il est difficile d’isoler l’impact du Brexit de celui de la crise sanitaire de la Covid-19 ou de la hausse des prix de l’énergie. Entré en vigueur le 1er janvier 2021, le Brexit semble l’avoir amplifié toutefois. Selon le ministère français de l’Économie, les exportations de l’Union européenne vers le Royaume-Uni ont baissé de 15 % en valeur l’an passé, et les importations depuis ce pays de 30 %. Le Brexit a réorganisé aussi la logistique entre les États membres continentaux et l’Irlande avec des conséquences sur le nombre de camions et remorques traités par les ports français et le lien fixe entre la France et le Royaume-Uni.
Avant le 1er janvier 2021, la majorité des flux de marchandises entre l’Union européenne et l’Irlande transitait librement via le territoire britannique. Ce schéma « landbridge » a changé. Depuis la sortie du Royaume-Uni du marché unique, le fret qui y entre ou sort, en provenance ou à destination de l’UE doit s’acquitter de formalités plus ou moins importantes selon sa nature et les modalités de son transport : douanières, phytosanitaires ou de sûreté-sécurité… Le respect de ces formalités, dont la mise en oeuvre n’est pas encore totalement stabilisée outre-Manche, allonge les délais et augmente les coûts logistiques avec des risques avérés d’immobilisation. Pour éviter ces dangers, les entreprises et leurs organisateurs de transport reportent leurs flux sur les routes maritimes reliant directement les États membres continentaux à l’Irlande. En témoigne le développement de ces services depuis une douzaine de mois et les chiffres records présentés par plusieurs ports. De 150 000 camions et remorques environ avant le Brexit, le trafic maritime entre la France et l’Irlande a plus que doublé. Il a même triplé dans certains ports à l’image de Cherbourg, dont les unités de fret traitées avec l’Irlande sont passées de 34 000 en 2020 à 110 000 l’an passé. En France, Dunkerque, Le Havre, Cherbourg, Roscoff et Calais proposent des lignes roulières ou conteneurisées sur cet axe à l’initiative des compagnies DFDS (Danemark), Brittany Ferries (France), Stena Line (Suède), Irish Ferries (Irlande) et Containership, filiale du groupe CMA CGM. En Irlande, les principaux ports touchés par leurs services sont Cork, Rosslare et Dublin. Cette évolution est aussi à l’origine d’aménagements portuaires. Dunkerque, par exemple, a ouvert en octobre dernier un terminal dédié aux liaisons avec l’Irlande.
Le Brexit semble accélérer une autre évolution logistique sur les ports transmanche français. Engagée à Calais, elle concerne le développement de services rail-mer d’unités de transport intermodal (UTI : remorques routières, caisses mobiles et conteneurs) sans conducteur, appelés aussi « services non accompagnés ». Spécialité historique de Zeebrugge, le port de la Côte d’Opale, fort de ses nouvelles installations opérationnelles depuis la fin de l’année dernière (863 M€ d’investissement), mise sur ce trafic qui y passerait de quelques milliers d’unités par an aujourd’hui, à 100 000 en 2025 et 250 000 avant 2030.
Pour soutenir cette ambition, Calais compte deux terminaux d’autoroutes ferroviaires opérés par VIIA, filiale du groupe SNCF, et par l’allemand CargoBeamer. Le premier, ouvert en octobre 2015, propose actuellement deux services aller-retour avec Le Boulou, à proximité de la frontière espagnole, et Mâcon. En 2023, VIIA prévoit de renforcer cette offre par une liaison avec Sète, hub méditerranéen français de DFDS pour ses lignes avec la Turquie, et de relancer son service avec Orbassano en Italie. De son côté, CargoBeamer a inauguré son terminal d’autoroutes ferroviaires le 10 juillet 2021. Depuis, il propose trois services : à Perpignan, à Domodossola en Italie, et à Ashford au Royaume-Uni via le Tunnel sous la Manche avec le concours de Getlink. Depuis l’arrêt fin janvier 2022 de la ligne dédiée au trafic non accompagné de DFDS avec Sheerness, les UTI sans conducteur qui transitent par Calais empruntent des services maritimes transmanche « classiques ». L’armement danois prévoit de relancer son offre sur Sheerness dans le courant de l’année. Cherbourg ambitionne aussi de lancer des services rail-mer. Selon Brittany Ferries, porteur de ce projet, les premiers trains circuleraient à la fin du premier semestre 2024. En correspondance avec les lignes maritimes sur l’Irlande notamment, les trains combinés d’UTI non accompagnées relieraient Cherbourg à Mouguerre, près de Bayonne. À Cherbourg comme à Calais, les terminaux déployés ou envisagés permettent des manutentions horizontales automatisées qui optimisent les temps de manutention et de constitution des trains. Cette rupture de charge ouvre aussi des opportunités logistiques à valeur ajoutée telles que le stockage et la préparation des marchandises à destination du marché britannique ou, dans le sens inverse, vers l’Union européenne.
Le développement des services maritimes et rail-mer non accompagnés avec le Royaume-Uni est un moyen d’alléger les formalités de transit des marchandises de et vers l’Union européenne. L’intérêt de cette simplification va se renforcer à compter de septembre 2022 avec l’entrée en vigueur du système communautaire d’entrée/sortie (EES, règlement européen 2017/2226). Ce dernier est censé modifier sensiblement les procédures d’entrée et de sortie des ressortissants des pays tiers, qui souhaitent entrer dans l’Union européenne, et les ressortissants de l’Union européenne, comme les conducteurs-routiers, qui vont dans des pays tiers… comme le Royaume depuis le 1er janvier 2021. La décision de P&O Ferries, filiale du groupe DP World, annoncée le 17 mars de licencier 800 marins pour les remplacer par des personnels originaires d’autres pays pour abaisser sa masse salariale, soulève un autre problème né avec le Brexit. Il concerne le risque de dumping social vis-à-vis des autres opérateurs transmanche. Les autorités britanniques ont demandé à l’actionnaire de P&O de revenir sur sa décision de licenciement, en vain à l’heure où est rédigé cet article. Depuis le 17 mars, les navires de la compagnie ne naviguent plus provoquant de fortes perturbations sur le transmanche (35 % de la capacité maritime fret suspendue). Pour faire évoluer la position de DP World, les autorités britanniques disposent de moyens de pression. Le groupe originaire de Dubaï est en effet son partenaire dans deux projets de ports francs sur la Tamise et à Southampton. Il est également le gestionnaire de plusieurs terminaux dans les ports de London Gateway, de Southampton et de Tilbury. Un temps évoqué, la cession de P&O Ferries à DFDS semble aussi difficile à réaliser en raison de la position concurrentielle qu’aurait alors le groupe danois sur le transmanche.
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